Le cri du tri

Je suis dans le bus pour Québec. Ce même voyage sur la 20 que j’ai fait des centaines de fois, sans exagérer. Ça fait plus de 20 ans que j’ai quitté la Capitale nationale, comme ils disent à Québec, sans jamais avoir l’intention de retourner y vivre. Ce soir j’y vais pour le travail. Mais en fait, c’est vraiment juste une excuse pour me retrouver seule à l’hôtel et faire le point sur ce qui s’en vient. Tous les jours, mon futur proche change. Il a une conjugaison irrégulière, c’est le moins qu’on puisse dire! Mais il existe enfin. À chaque seconde qui s’écoule sur le chrono, à droite de l’écran, on se rapproche de ce grand projet dont on rêve depuis 2 ans. On a finalement fait l’annonce à nos boss respectifs: on s’en va en sabbatique. Pour la famille. Pendant 6 mois. On a fait l’annonce à nos familles aussi. Curieusement, nos proches semblaient soulagés. C’est que le plan initial était tout autre… mais il faut rester flexible et savoir reconnaitre que le plan était ambitieux.

Tellement ambitieux, qu’un soir j’ai craqué. Trop de pression. Partir sur la route impliquait à l’origine qu’on loue l’appart, tout meublé pour plus de simplicité pour nous, histoire de couvrir les frais fixes qui s’y rattachent et d’avoir une entrée d’argent stable vu qu’un congé sabbatique s’accompagne d’un congé de paie. C’est pas aussi excitant que d’avoir congé de devoirs ou congé de bain! Ça implique qu’on doit avoir amassé suffisamment d’argent pour vivre ce rêve à l’aise, ou du moins sans compter ni stresser. Les dettes, c’est pas dans notre philosophie, donc pas question de remettre à demain cette responsabilité non plus. Si on ne peut se permettre financièrement de faire telle ou telle sortie, ou si on doit manger du spaghetti 5 fois par semaine, c’est moins l’fun comme aventure. Mais louer, implique de finir certaines rénos qui durent depuis la naissance de la petite… “Non maman, ma salle de bain est pas finie”!

"Mais qui voudrait louer ça", me répétait sans cesse mon p'tit Chéri? La location demandait SURTOUT de faire un méga tri dans mon fouillis perso au sous-sol. On pourrait croire que quand on déménage aussi souvent que moi, et longue distance en plus, avec le temps on apprend à être minimaliste. Eh bien non… j’ai vécu parmi les boites de carton pendant des années: à Montréal le long de mon passage, à Gatineau dans ma cuisine et à Montréal, dans le sous-sol. Certaines boites sont restées fermées au moins… 3 ans… voire 4… La honte pour une nomade, une minimaliste, une radicale anti-consommation! Il n’y a pas si longtemps, notre chambre d’amis/atelier avait l’air de ça:

J’ai fait de gros efforts depuis. J’ai vendu et donné des trucs, j’en ai rangé d’autres (mon chum dit “caché”)… mais en gros, je dois le reconnaitre, c’est une goutte d’eau dans l’océan, car idéalement, il faudrait que TOUT disparaisse. Comme quand on passe au feu. Ouch! Ma philosophie, je la tiens de mon père: “ça peut toujours servir, on sait jamais”. C’est incontestablement incompatible avec le nomadisme. C’est même pas un dérivé du minimalisme. C’est comme la chanson de Kevin Parent… Nomade-sédentaire.

J’ai donc beaucoup lu sur le sujet. On s’entend que c’est une forme de procrastination qui a quand même le bénéfice de mener à des stratégies. La classique méthode des boites à garder + à donner/vendre + à jeter/recycler est trop rigide pour moi: j'ai besoin de plus de gris. L’autre dérivé plus progressif qui inclut une boite à trier est un échec total parce que tout se ramasse là ou presque, et là je procrastine à la trier. Sentant mon désarroi, mon amie de toujours m’a donné un truc qui pourrait marcher: “Au lieu de gaspiller ton énergie à trier ce que tu gardes pas, tu mets dans un bac tout ce dont t’as besoin pour ton confort en voyage et qui fitte dans ton camion. Le reste, bye bye”! Ahhh… mon chum l'idolâtre pour ses bonnes paroles sages… Mais en gros… ça ressemble à la grosse boite à trier… et ça fitte PAS dans mon camion, malgré les efforts de mon chum pour nous créer du rangement! De toute façon, c’est pas ça le but, et je le comprends. Je suis juste impuissante. Mon chum, qui suit des cours de gestion, dit qu’on est dans l’une ou l’autre des situations suivantes face à une tâche insurmontable: soit on ne sait pas comment la faire, soit on ne veut pas la faire, soit on ne peut pas la faire. On s’entend-tu qu’après toutes mes lectures, je sais comment. On peut aussi dire que je veux vraiment me défaire de tout ce matériel (surtout du brut… du matériel d’artisanat) car je sais que c’est la source même de notre sédentarisme. Mais alors… je ne peux pas? Ben non… d’un coup que ça pourrait servir… un jour… Et j’avais des projets de bijoux, de couture, de mosaïque… Ça me torture de penser que je ne les réaliserai pas, et je tourne en rond… Des suggestions?